Bonnes pratiques de résolution non-violente de conflits

©photo Pascale Leprince-Ringuet

Bonnes pratiques de résolution non-violente de conflits en milieu éducatif (formel et non formel)

En
2002, encore à l’Unesco, j’ai édité ce petit livret qui a circulé en beaucoup
de pays grâce à ses versions en anglais, français et espagnol, et qui est épuisé depuis.
J’étais, à ce moment, responsable des programmes et des pratiques d’éducation
non-violente à l’école et en dehors de l’école. Ce qui me tenait à cœur à
l’époque, et qui encore me plait, était de valoriser la dimension de créativité
dont toutes ces pratiques en font preuve, avec leur capacité d’inventer et de
s’amuser avec les gens, les enfants, les éducateurs, les parents.
La
plupart de ces pratiques ont depuis pris de l’essor, comme la CNV qui est
aujourd’hui assez connue en France et dans le monde entier. Mais il y en a
encore trop nombreuses qui ne sont pas suffisamment pratiquées, comme la médiation qui devrait, à mon avis, être intégrée (tout comme la CNV !) et rendue obligatoire dans les
programmes scolaires.
Voilà, pour égayer votre semaine, mon petit cadeau d’un lundi de mars froid et pluvieux…

De la joie et de la paix

Pour les sciences cognitives, la joie est définie comme un mélange de sérotonine, noradrénalines et dopamines secrété par
le cerveau dans des situations de gratification, des états agréables pour
l’organisme entier. Par exemple, les recherches sur les deux cerveaux situent
celles que le neurologue américain Antonio Damasio appelle les émotions «
positives», c’est à dire, la joie, l’amour, la compassion et la confiance dans
une région précise, celle du lobe frontal gauche, la même qui est stimulée dans
l’état de méditation profonde. « La joie est une émotion qu’on appelle
positive, dit-il, parce qu’elle est à la source du bonheur qui est, lui, un
sentiment.i Si
la honte, la peur, la colère, la tristesse, le dégoût nous protègent en
signalant des limites à respecter et amènent comme à une fermeture, la joie, au
contraire, nous ouvre ».ii 
Quand la joie nous ouvre, par magie les yeux et la bouche s’ouvrent
aussi dans des sourires et des rires. Parfois, lorsque la peur est passée,
cette ouverture donne lieu même à des larmes de guérison, de retrouvailles avec
nous mêmes : c’est alors d’une joie physique qu’il s’agit, un courant qui nous
relie à nos viscères, notre sang, nos glandes lymphatiques. Les tests réalisés
par le docteur Damasio, par son collègue Mario Beauregardiii de
l’Université de Montréal et aussi par les autres chercheurs de l’Institut Mind
and Life aux Etats Unis sur des religieuses carmélites et sur des moines en
état de méditation sont désormais connus par le grand public. La photo du moine
Matthieu Ricard avec le crâne rempli d’électrodes pendant qu’il se prépare pour
une expérience scientifique à l’université de Wisconsiniva
fait le tour de la planète, tout comme l’article qui le définit, grâce aux
résultats exceptionnels obtenus par ce test, l’homme « le plus heureux du monde
» : sur une échelle varie de + 0.3 à -0.3 (l’état de béatitude), Matthieu
Ricard affiche un score de –0.45, complètement en dehors de l’échelle! On peut
donc conclure que le fait de méditer régulièrement augmente l’activité du
cortex préfrontal gauche, la partie antérieure du cerveau à laquelle est
associée la gestion des émotions positives, avec en plus une amélioration
prouvée du système immunitaire. Cela va peut être de soi mais, comme le dit
Damasio : « Spinoza avait raison »v lorsqu’il soutenait ce que
la neurobiologie démontre aujourd’hui scientifiquement, à savoir que
l’intellect et le corps sont définitivement reliés, et la joie et les
sentiments positifs sont favorables à la santé et au développement créatif de
notre être. De ce fait, nous avons un pouvoir unique à produire, penser et agir
sur nos émotions ; ce qui nous transforme d’un coup en maîtres de notre
existence, pourrait-on ajouter. 

 De fil en aiguille, pour recentrer la réflexion
sur l’éducation, si la région stimulée dans les états de méditation profonde
est la même où se situent les émotions positives de joie ou de compassion, on
pourrait alors se poser une question fondamentale pour tous ceux qui, comme
nous, travaillent dans l’éducation à la paix et à la non-violence : est ce que
la joie et l’attitude à la paix surgissent-elles de la même source dans l’être
? Pour René Barbier, professeur émérite de sciences de l’éducation, expert de
Krishnamurti «…le cerveau est capable de fonctionner selon un registre
différent qui permet l’accès à un autre niveau de réalité. Certains diront que
ce niveau n’existe que parce qu’il est produit par la fonction électrochimique
et neuronale du cerveau. D’autres expérimenteront personnellement cet autre
niveau de réalité et le reconnaîtront comme réel et indépendant de toute caisse
de résonance, même s’il est reconnu par une activité cérébrale. Ces derniers
accèdent alors à un sens de la profondeur au-delà de toutes techniques et,
s’ils sont éducateurs, proposent une éducation de la non-violence. »vi
Eduquer
à la paix revient à éduquer à la joie de vivre
.
Je le constate à chaque fois que, dans ma pratique d’éducation, que ce soit
dans la formation à la culture de la paix ou dans les stages d’éducation à la
joie, j’arrive à toucher la partie la plus profonde des participants, celle qui
s’apparente au domaine de l’être. Et, s’il est vrai qu’il n’y a pas de
pédagogie de l’éveil, il existe pourtant
une manière d’éduquer par laquelle nous pouvons découvrir (si nous sommes des
enfants) notre potentiel ou nous défaire (si nous sommes des adultes) de ce qui
nous sépare de notre propre trésor intérieur, de l’œuvre originale que nous
sommes venus accomplir dans cette existence.
Ainsi, on peut pousser cette
réflexion davantage en rejoignant la vision des maîtres spirituels et des
pédagogues qui ont fait l’histoire de l’éducation, pour lesquels la véritable
tâche de l’éducateur est celle d’accompagner comme un guide le disciple dans la
découverte de soi. 

Tous les éducateurs à la résolution des conflits
pourront en témoigner : il n’y a pas d’autre manière possible d’éduquer à la
paix que de contacter les individus au plus profond d’eux mêmes, de leur propre
vérité, souvent blessée ou refoulée. Car lorsqu’on se résolue à rencontrer son
propre ennemi, c’est soi-même que l’on rencontre, comme peuvent en témoigner
tous ceux qui, après des innommables souffrances subies ou infligées, ont
accepté de participer aux processus de pardon collectifs réalisés par exemple
en Afrique du Sud ou après les horreurs perpétrés dans la région des Grands
Lacs. Il s’agit d’en faire le choix : décider de ne plus souffrir est la
première étape de la transformation que le pardon peut nous apporter lorsque
nous avons été aussi blessés, pour redevenir acteurs, mais surtout auteurs de
notre propre vie. C’est un parcours de découverte de soi-même que je n’hésite
pas à définir comme essentiellement éducatif dans le vrai sens du mot, tel un
accouchement de soi au bout duquel la joie est souvent au rendez-vous. Joie et
pardon, joie et paix, joie et non-violence deviennent ainsi des binômes
inséparables. Et, comme le dit Guy Corneau, il n’est pas nécessaire de passer
par autant de souffrance pour exprimer notre partie lumineuse. 
Nous n’avons plus besoin aujourd’hui, de répéter
les erreurs des générations qui nous ont précédé en nous appliquant comme des
bons élèves à calquer un modèle qui n’a pas fonctionné, fondé sur une culture
de guerre. Si nous prenons le parti de
la joie, qui est puissance d’action, comme la définit Spinoza, nous
pouvons traverser les turbulences du changement en cours non seulement
indemnes, mais en nous transformant nous-mêmes, c’est à dire en devenant les
créateurs d’une nouvelle réalité, d’un monde nouveau.
Par exemple, si pour
certains la mixité culturelle et religieuse qui caractérise nos écoles
actuelles représente un obstacle à une certaine vision de l’enseignement (un
seul programme égal pour tous les élèves, des évaluations qui ne tiennent pas
en compte des ces différences), pour d’autres, elle devient source de richesse
inégalable. Il s’agirait ainsi de repenser l’éducation, en écoutant la
suggestion par exemple des grands penseurs contemporaines, tels Michel Serres
ou Edgar Morin qui l’a magistralement esquissé dans son récent livre Enseigner à vivre.vii Tous
deux se rejoignent dans une même proposition pour répondre de façon conséquente
à la complexité de notre société actuelle, lorsqu’ils demandent que soit établi
un socle commun de connaissances pour toutes les universités du monde.viii Ce
serait un tronc commun de savoirs inspiré par des valeurs communes à
toute l’humanité, propédeutique et obligatoire au début de tout cycle
universitaire, un « humanisme universel qui contribuerait à créer une
mondialisation pacifique» comme le disait Michel Serres. Non écoutée à ce
moment, cette proposition est d’autant plus actuelle aujourd’hui, au moment où
la parole « crise » envahit l’actualité économique. Au sujet en particulier du
dialogue entre les religions, le chemin vers la paix serait sans doute accéléré
aussi par la décision de fonder les programmes et les pratiques pédagogiques de
toutes les écoles du monde, en ne se limitant pas donc aux universités, sur des
valeurs communes à l’humanité telles que la joie, la non-violence ou la
tolérance.

Dieu, Allah, Adonaï, les dieux, le Grand Esprit
ou les Esprits, leurs émissaires et prophètes comme Jésus ou Buddha, on fondé
leur message à l’humanité sur une foi universelle alliée à la compassion entre
les êtres, au sentiment d’unité avec le cosmos, dictée par les normes de
l’amour.
Ces messages ou «révélations » contiennent parmi les réponses les plus
profondes données aux hommes pour leur conduite sur Terre, l’accomplissement de
leur destin et la construction d’une culture de la paix.

i
« L’émotion est une réaction spontanée, qui dure très peu de temps :
elle est le fait de tous les mammifères. Le sentiment s’inscrit dans la durée
et associe des représentations du néocortex, il appartient au seul monde des
humains ». In Antonio R. Damasio, L’erreur de Descartes. La raison des
émotions,
éd. Odile Jacob, 1995.
ii
Ott Hervé « Joie et humour » dans Réforme n°3137 du 21 juillet
2005.

iii
MBRL (Mind/Brain Research Lab) : http://www.mapageweb.umontreal.ca/beauregm/
le docteur Beauregard est signataire avec d’autres éminents chercheurs
du Manifeste Pour une Science sans a priori : Si les scientifiques renoncent
à la réflexion métaphysique et spirituelle, ils se couperont de la société,
disponible
à l’adresse web ci-dessus et également sur Science et Quête de Sens,
ouvrage collectif sous la direction de Jean Staune, Presses de la Renaissance,
2005.

iv
Test conduit par le Dr Richard Davidson à l’Université de Wisconsin

v
Damasio A.R., Spinoza avait raison : joie et tristesse, le cerveau
des émotions,
Odile Jacob, Paris, 2003

vi
Barbier René, « L’éducateur et le sacré» dans Journal des
chercheurs
du vendredi 18 avril 2003 : http://www.barbier- rd.nom.fr

vii
Morin Edgar, Enseigner à vivre. Manifeste pour changer l’éducation.
Actes Sud/Playbac 2014
viii
Il s’agit en ce qui concerne Michel Serres, d’un discours tenu à
l’UNESCO le 18 juin 2002, à l’occasion des rencontres du XXI siècle (reçu
directement par l’auteur, le document ne résulte pas être publié). En ce qui
concerne Edgar Morin, ladite proposition est contenue dans l’article « Repenser
le savoir pour réformer l’école » paru dans le Monde de l’éducation
360, juillet – août 2007.

Education à la JOIE et à la PAIX

Le stage en juillet au Liban, à l’Université pour la non-violence et les droits de l’homme – AUNORH (site web bientôt en ligne), a été un expérience forte. Comment parler de la joie à des jeunes qui vivent encore la guerre, la violence au quotidien?  Paradoxalement c’est bien parmi ces personnes que j’ai trouvé l’enthousiasme le plus fort, la motivation la plus grande à se reconnecter à leur source de joie, comme si la fréquentation de la mort, leur donnait une poussée de vie supplémentaire, une foi inébranlable dans la vie… « Nous sommes vivant aujourd’hui, alors célébrons-la cette vie si absurde, si dure mais aussi si douce, si porteuse d’espoir! » c’est leur philosophie… 

Le site de AUNORH dans les montagnes derrière Beyrouth

J’ai rencontré des jeunes activistes, comme ceux de la photos, mais aussi des moins jeunes, des gens rescapés des bombes de Syrie, des activistes travaillant dans les camps de réfugiés, des militants de longue date pour la paix dans cette interminable guerre entre Palestiniens et Israéliens, des femmes qui avaient perdu leur emplois à cause du conflit en Syrie (entre parenthèses…mais qu’est ce qui se passe en Syrie actuellement? les nouvelles ne font plus la une des la presse, elles sont supplantées par l’Egypte, mais le gens continuent d’être massacrés!), enfin une humanité merveilleuse qui, tout en ayant souffert, continue de AGIR et CROIRE EN LA PAIX!

Alors, j’ai envie de leur dire MERCI pour la rencontre, MERCI pour cette foi dans l’Homme, MERCI pour le partage et la spontanéité et aussi pour l’émotion suscitée par vos témoignages.

Dans la ville de Beyrouth reconstruite, une vielle femme s’attarde
converser avec des soldats, pendant qu’elle donne à manger aux oiseaux