Dis, quand on est mort, c’est pour toute la vie?

Nous venons de donner un stage[1] ayant pour titre cette jolie interrogation existentielle, tirée d’une vraie question d’enfant : « Dis, quand on est mort, c’est pour toute la vie ? ».

Nous avons passés trois jours intenses avec des éducatrices (la majorité de femmes, comme il est très souvent le cas) et un (seul) éducateur de la petite enfance (on se félicite de son courage !), des jeunes personnes en contact quotidien avec des enfants âgés de quelques mois à 5 ans. C’est donc une période préscolaire pendant laquelle on pense, souvent à tort, que la question de la mort ne fait pas partie de la vie des petits.

Et pourtant.

Nous voulons ici poser l’attention sur quelques points concernant l’approche adoptée par la formation qui a alterné des apports théoriques avec des pratiques (jeux de rôle, mouvements, danse, art, …). Nous avions fait, avec Anne, le pari de ce stage comme un moment d’évolution personnelle pour tous les participants, y compris de nous-mêmes. Nous pouvons aujourd’hui affirmer que nous ne nous sommes pas trop trompées, tout en tenant compte des évidentes difficultés de certaines personnes à s’impliquer « corps et âme » dans ce que nous proposions.    

Primo : La mort nous parle de nous

Nous avons constaté d’abord combien parler de la mort en général et en particulier avec les enfants, nous renvoie à notre propre relation avec la mort, notre mort à nous et celle des gens que nous aimons. Par un parcours d’exploration aussi de nos idées reçues sur ce sujet, nous avons compris combien il est fondamental et même nécessaire, de regarder en face celle qui sabote régulièrement nos élans de vie, notre capacité à construire de liens sains et pacifiques avec notre monde… Et de nommer enfin cette chose qui, dans l’échelle des émotions et des causes de blocage et des conflits, arrive en tête de liste: la peur de mourir.

Mais attention ! Nous n’avons pas et nous n’avons jamais eu la prétention, lors d’un stage de trois jours, de nous réconcilier avec cette peur profonde et commune à tous. Par contre, nous pensons que ces moments de questionnement, nous invitent à éclaircir les zones d’ombre que l’on peut découvrir dans d’autres lieux thérapeutiques.

Secundo : Il s’agit de parler de la mort avec (et non « aux ») enfants

Ceci implique que nous (parents, grands-parents, enseignants, éducateurs au sens large), nous adoptions une posture d’accompagnement. Il ne s’agit pas donc de leur dire ce que la mort est ou n’est pas, mais de les inviter à s’exprimer à ce sujet. Nous allons ainsi être surpris ! Car les enfants « savent » souvent déjà beaucoup plus que nous l’imaginions sur la question. Selon leur âge, ils auront même développé une réflexion philosophique et existentielle (ce que l’on expérimente lors des « ateliers philo » avec les plus grands) et ils vous surprendront avec la sagesse des fruits de leur pensée.  

Aussi, en tant que formatrices, pour répondre aux doutes de quelques participants (faut-il leur parler de la mort même « hors contexte » ?), nous croyons qu’il ne soit pas nécessaire d’attendre que la mort se présente dans la vie d’un enfant par le départ d’un proche, y compris à l’école. Nous pensons par contre que l’on devrait inclure la question de la mort comme faisant partie de la nature humaine, animale et végétale par exemple, en l’introduisant dans les cours de sciences de la vie et de la terre, de biologie, de chimie etc., pour les plus grands. L’art et toutes les activités artistiques que l’on pratique dans un contexte préscolaire et scolaire (dessin, chant, comptines, etc.) y compris le mouvement et la danse libre, sont aussi des moyens excellents à privilégier pour que les enfants puissent s’exprimer plus librement et autrement que par la verbalisation.

S’il arrive que un parent ou ami de l’enfant meure, on se doit, en tant que adultes éducateurs, d’être préparés à accueillir la situation avec une attitude la plus sereine possible, y compris en accueillant nos propres émotions (ce que l’on peut apprendre à l’école depuis tous petits).

A ce sujet, nous avons été confortés par le témoignage (en directe du Québec) de Josée Masson qui œuvre depuis vingt-cinq ans dans le domaine de l’association « Deuil-Jeunesse » (https://deuil-jeunesse.com) dont la mission est centrée sur l’accompagnement des jeunes qui vivent une perte. Toutes et tous, nous avons été émus par les paroles pleines d’humanité de Josée :… démystifier pour aller de plus en plus vers la confiance et l’amour ; ne pas juger, mais apprendre à accueillir en tant que éducateurs car le deuil « juste » est celui que l’on vit. 

Tertio : La mort fait partie de la vie

Cela peut paraître une banalité, mais le fait de présenter la mort comme la fin de tout processus, est une source de grande angoisse même chez les plus petits. Une fois de plus, il ne s’agit pas de convaincre les enfants de nos croyances, comme de l’existence d’une vie après la mort, mais de placer la mort dans le processus de la vie. Par exemple, si dans la présentation du cycle humain expliqué aux enfants, l’on pose la naissance comme première étape et en dernière celle de la mort, il en résultera une vision beaucoup plus globale et harmonieuse de la Vie, accessible même aux plus petits.[2]

Et si, à l’intérieur de ce même processus expliqué aux enfants, nous plaçons aussi la possibilité de l’inattendu et l’imprévisibilité de l’existence, nous pourrions les éduquer à accueillir plus facilement des événements tragiques comme la mort prématurée d’un copain ou d’un jeune parent.

Quarto : L’art est une porte entre le visible et l’invisible 

Nous croyons aussi, pour l’avoir expérimenté et partagé lors de ces journées, que l’approche artistique ou poétique peut être une porte à une pratique quotidienne pour approcher notre finitude.  En effet la pratique de l’art (danse, musique, peinture, etc.) touche à la notion de temps : temporalité versus intemporalité.

L’espace-temps qu’offre une œuvre d’art par sa contemplation ou par sa pratique, nous permet de toucher les deux mondes du visible et de l’invisible, tous nos sens en éveil. 

Une pleine présence de soi-même offre cet instant ultime, intime sur le fil de la vie sensible. Et de cette sensibilité peut naître une meilleure conscience de chaque instant. Ce qui peut être donc très riche d’enseignement pour le jour de notre départ de l’autre côté des choses… Danser, chanter… jouer en pleine communion de l’instant présent.

Pour conclure…

Nous pensons que, dans une société qui s’ouvre de plus en plus au transhumanisme et ses conséquences néfastes, Éduquer à la mort devient une urgence et une nécessité pour les jeunes. Cependant, comme nous l’avons constaté lors de ces trois jours, introduire la mort comme un sujet « normal », la démystifier et arriver à affronter le sujet sans le charger de nos projections, n’est pas chose facile.

Mais ces moments nous ont confortés par contre dans la conviction que la seule voie pour accéder à un rapport sain avec la mort est de revenir nous-mêmes à l’attitude des enfants que nous côtoyons dans nos métiers d’éducateurs. Sans peur, et même avec joie, il nous faudra oublier tout ce que l’on sait ou que l’on croit savoir sur elle, considérer que nous ne savons plus rien à son sujet (y compris ce qu’on nous a raconté pendant des générations) et être préparés à se faire surprendre par notre propre capacité d’émerveillement.                                                                       

Antonella Verdiani  et  Anne Caloustian *

* Anne Caloustian est artiste musicienne, poétesse, clown et enseignante. 


[1] Le stage « Dis quand on est mort, c’est pour toute la vie ? » est une formation que nous proposons aux enseignants, éducateurs et parents. Pour connaître son contenu : Éduquer à la mort (https://antonellaverdiani.com/formations/eduquer-a-la-mort/)

[2] A la question : « quel est l’opposé de la mort ? » beaucoup d’entre nous répondront « la vie ». Ce que nous proposons est de remplacer le mot vie par « naissance » : la naissance devient donc l’opposé de la mort. Cela implique donc l’hypothèse que la vie puisse continuer sous une autre forme (comme l’arbre qui devient compost) que, pour le moment, nous ne connaissons pas (ce qui ne dérangera pas les matérialistes et les non-croyants).

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