Jonathan le Goéland s’est posé sur un banc d’école…


Je reviens de Montréal avec l’impression délicieusement ancrée en moi que le changement dans l’éducation (pratiques pédagogiques innovantes, approche éducative centrée sur l’enfant, relation paritaire enseignant élève, respect des rythmes de l’enfant, etc.) est finalement possible dans le système public puisqu’il y a des gens qui le réalisent depuis plus de trente ans! Dans la recherche que je mène sur des écoles (tous niveaux confondus) où « il fasse bon aller » dans le cadre de mon livre sur l’éducation à la joie, je suis  tombée (non pas par hasard, puisque j’ai été invitée et guidée par le professeur Charles Caouette qui l’avait fondée en 1974 avec Denise Gaudet) sur l’

École primaire alternative Jonathan à Montréal où le taux de bonheur et de joie des enfants et des enseignants me semble atteindre des niveaux très élevés ! Bien sûr, on pourra objecter que je ne suis restée qu’une matinée ; bien sur, on ne m’aura peut être montré que des aspects positifs ; bien sûr, je n’ai pas eu le temps de vivre le quotidien de l’établissement, ni la routine… mais, si je me fie non seulement à mon instinct, mais aussi à mon expérience de chercheuse (aussi dans le cadre international), je peux affirmer que l’on respire dans cette école une atmosphère « spéciale » et rare de qualité de l’éducation fondée sur des éléments divers que je nommerai en ordre aléatoire. De quoi s’agit-il?

La liberté.  Les enfants travaillent à leur rythme, assis par petits groupes, libres de se lever quand ils veulent, aller parler avec les copains, circuler dans d’autres classes, questionner l’enseignant, tandis qu’ils sont concentrés sur l’activité qu’ils ont choisie auparavant. Oui, c’est leur choix qui s’impose et pas celui des profs, encore moins de leurs parents! Ainsi les sujets et les thématiques qu’ils décident de développer au début et en cours de l’année deviennent leurs projets personnels (ou collectifs) et surtout des défis réels qui contribuent à enrichir leur expérience de vie.

La mixité (d’âge, de sexe, de niveaux de connaissances).  A l’intérieur des classes, des enfants de 5 à 11 ans se côtoient et travaillent ensemble sans aucune division artificielle. A cela s’ajoute la formation par les pairs qui semble très efficace: lorsque, comme j’ai pu l’observer, une « ancienne » d’une dizaine d’année peut expliquer sans perdre patience le mécanisme d’une opération d’arithmétique à un « nouveau » de 6 ans, l’apprentissage se fait dans les deux sens. Celui qui transmet apprend autant que celui qui reçoit, sans aucun rapport de pouvoir.
Le silence. OUI j’ai bien dit le silence… puisque lorsque il y a attention, soin, intérêt et finalement amour pour ce que l’on fait et on étudie, il y a harmonie.  Les conversations se font sur un fond (et un ton) doux, on n’a pas besoin d’hurler, on apprend très naturellement que le silence est (une règle) d’or. 
L’écoute et le partage. L’écoute de l’autre, des autres, de son propre rythme, de sa singularité et sa spécificité, dans sa différence et sa ressemblance. Les enfants ont le temps de se faire connaître pour ceux qu’ils sont, ce qu’ils vivent, ce qu’ils désirent et expérimentent : des recettes de cuisine de pays différents (des pizzas par exemple !) au cours de percussion sur djembé, un univers de connaissances provenant du vécu des uns et des autres est partagé dans les ateliers, lieux d’apprentissages privilégiés. «Autant d’occasions de vivre des moments de groupe significatifs, dit la brochure d’information de l’école, tout en s’exposant à un large éventail de sujets.  Les ateliers sont offerts par les enfants, les parents et les éducatrices en fonction des forces et des sujets d’intérêt de chacun. »
La liste pourrait continuer … je vous invite, pour en savoir plus, à lire le document de l’école consultable dans le site web (http://www2.csmb.qc.ca). Cependant, s’il y avait un secret que l’on pourrait dévoiler au sujet de l’

École Jonathan, il serait sûrement à propos de la démarche intégrale que la communauté éducative  (enseignants, parents et élèves) met en œuvre. Favoriser le développement intégral des enfants, valeur qui est au cœur du modèle pédagogique, signifie veiller à l’épanouissement de tous les aspects de la personnalité de l’enfant. Comme dans les écoles d’Auroville (voir mon article dans ce blog « 

Éduquer à la joie »,  basé sur l’expérience de ma recherche de doctorat dans cette communauté en Inde), ici le « mental » est autant développé que le « physique », autant que le « psychique ».  « Ainsi, dit la brochure de l’école, en plus des matières de base telles que le français et les mathématiques, l’autonomie et la liberté assumée de façon responsable sont aussi objets d’apprentissage.  Le dépassement de soi et l’autoévaluation sont valorisés et font contrepoids à la compétitivité et la comparaison qui dominent actuellement notre société.  L’acquisition d’une saine confiance en soi et d’une bonne connaissance de son potentiel d’apprentissage procure à l’enfant des outils qui lui rendront service tout au long de sa vie. »

Je crois pour conclure, que le Goéland Jonathan Livingston qui a inspiré le nom de cette école  pourrait se poser sans crainte aucune sur le banc d’une de ses classes : personne ne lui tirerait les plumes, il n’y aurait pas d’enfants méchants pour le chasser avec des pierres, mais au contraire, on se bousculerait pour l’écouter comme le faisaient ses élèves goélands dans le but d’apprendre à voler pour la gloire de voler. Ainsi, vous pourriez l’entendre dire … « que la liberté fait partie intégrante de son être et que tout ce qui entrave cette liberté doit être rejeté; que ce soit un rite, une superstition, un interdit.  Enfin, que la seule loi digne de ce nom est celle qui montre le chemin de la liberté ».[1]
(C’est là ce que j’entends par amour…)

Je remercie du fond du cœur Charles Caouette
qui m’a guidée dans cette visite d’école et avec qui nous avons pu partager des
points de vue qui nous « rassemblent ».
Un remerciement spécial à Anne Rinfret et l’équipe
des éducateurs de l’école Jonathan pour leur disponibilité et leur hospitalité.
Un autre grand merci à mon amie Anne Barth,
réalisatrice entre autres du film « Quels enfants laisserons-nous à la
planète ? » sur l’école des Amanins en France, qui m’a facilité les
contacts au Québec !! (http://annebarth.org  et  www.lesamanins.com
).
Enfin merci aussi et surtout aux enfants pour
leur accueil chaleureux!

[1] Richard Bach Jonathan Livingston le goéland, Édition
Flammarion, 1980

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