Troisième mouvement : corps /esprit

Du point de vue de l’esprit, le mouvement est avant tout présence, attention au corps et au mental. Le mouvement imperceptible du souffle, la lenteur, le « non –agir » appellent le concept de vacuité, si cher à la philosophie orientale, comme lieu du mouvement et condition première de ses transformations. Un exemple est donné par les mouvements du pinceau des peintres chinois ou des calligraphes arabes qui savent intégrer le vide dans leur œuvre par une gestualité précise et élégante. L’écrivain François Cheng en précise sa dimension fondamentale dans cette vision du monde : 

« …non moins essentiel que le fameux couple Yin Yang, le vide se présente comme un pivot dans le fonctionnement de la pensée chinoise. Il est en quelque sorte « incontournable » pour peu que l’on veuille observer la manière dont les Chinois ont conçu l’Univers… Outre le contenu philosophique –religieux qu’il implique, il régit par ailleurs le mécanisme de tout un ensemble de pratiques signifiantes : peinture, poésie, musique, théâtre ; et des pratique relevant du domaine psychologique : la représentation du corps humain, la gymnastique dite t’ai – chi- ch’uan …»

Vie et mouvement n’existent donc que par la présence du vide. La vie elle-même est mouvement, un « unique mouvement étonnant et merveilleux », comme le disait le grand éducateur Krishnamurti. Ceci est très loin de notre culture, encore plus de nos pédagogies éducatives où le silence est vu comme un espace à remplir de mots ou de pensées. A l’école, le silence est symptôme ou de punition, ou de concentration sur un devoir à rendre en vitesse ou, dans les cas les plus heureux, d’attention au cours. Mais l’alliance positive corps-silence ne se fait pas. Excepté dans le périscolaire, le préscolaire et dans quelques écoles primaires, aucune place est donnée dans les pédagogies actuelles à par exemple à la relaxation, ou plus simplement à la détente physique et mentale (encore moins pour des activités considérées comme encore « alternatives » comme la méditation, le yoga, le tai-chi, le massage ou le training autogène).

Pourtant leur efficacité pour la concentration intellectuelle a été démontrée, mais fatigue à rentrer dans les murs de l’école. Par exemple, partout dans le monde, de plus en plus d’écoles de management ou de commerce commencent à introduire des séminaires de relaxation, méditation, sophrologie et yoga pour managers stressés.

Le risque est bien sûr, de banaliser des pratiques millénaires présentes dans tous les courants spirituels en les proposant dans le supermarché du New Age. Aussi, on pourrait se poser la question sur l’instrumentalisation faite de ces pratiques par l’entreprise dans l’objectif de continuer à vendre plus et mieux. Cependant, si l’on sort de la logique marchande, force est de constater que cette tendance ouvre la porte à une possible prise de conscience, nouvelle dans le monde du marché, celle qui montre d’abord l’être humain avant le manager. Dans quelle mesure ces écoles en sont conscientes, pourrions –nous poser la question ?

Pour tenter d’y répondre, en répondant également à l’un des interrogatifs posé par cet article, il s’agirait d’oser aller de l’avant dans la route ouverte par ces expériences, faire trésor de leurs résultats (qui sont en majorité positifs) et les répliquer en les approfondissant dans une réflexion pédagogique qui investisse l’école dans son ensemble.

Bibliographie 
CHENG François, Vide et plein, le langage pictural chinois, Editions du Seuil, Paris, 1991.
 COUSINET Roger, L’éducation nouvelle, Delachaux et Niestlé, 1950.
DAMASIO Antonio, Spinoza avait raison : joie et tristesse, e cerveau des émotions. Paris, Odile Jacob, 2003 

DENNISON Paul, Brain Gym : Le Mouvement, clé de l’apprentissage, Le Souffle d’or, 2005

DENNISON Paul, Apprendre par le mouvement : Éducation Kinesthésique et Brain Gym Sully, 2006

ELIAT Myriam « On joue à touche-touche ? » revue pédagogique TRAcES, n°164, p. 23
GUERBER Walsh Nicole, EQUILBEY Serge, « Concepts d’espace et représentations Interdisciplinarité chorégraphique image dans le cadre d’un enseignement à l’Université », Actes des 1ères rencontres internationales « Arts, sciences et technologie, » Novembre 2000, Maison des sciences de l’Homme et de la Société, Université de la Rochelle.
 HOULON J., CIBOIS P. (ouvrage coordonnée) La Source, école de la confiance, éditions Fabert, 2007
 KRISHNAMURTI Jiddu, J. L’éveil de l’intelligence, Stock, 1975
 LECOMTE Isabelle, L’ado fragile et l’école : comment se mettre à l’écoute des besoins relationnels ? Éditions De Boeck Université, 2006 

PERGAUD Louis, La guerre des boutons, Gallimard, 1912
VERDIANI Antonella, L’éducation à la joie : un exemple d’éducation intégrale dans les écoles d’Auroville (Inde), Thèse de doctorat en sciences de l’éducation sous la direction de René Barbier, Université de Paris 8, 2008

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