Où va l’Université?

Richesse des esprits

de Philippe Thureau-Dangin
Hormis le marc de café et la cartomancie, il y a deux façons à peu près sûres de connaître l’avenir : la démographie et l’étude du système éducatif. La première discipline permet d’extrapoler sur trente ans l’évolution de la population. Ses chiffres (taux de natalité, mortalité infantile, etc.) fournissent de bons indicateurs sur la santé d’une société, et donc sur son futur proche. On se souvient comment Emmanuel Todd, alors jeune chercheur démographe, avait pu annoncer en 1978 la“décomposition de la sphère soviétique” en constatant l’incapacité du régime de Moscou à enrayer la mortalité des enfants en bas âge.
Concernant l’éducation, l’interprétation des faits et des chiffres est plus difficile encore. On sait tous à titre individuel qu’une famille qui ne prête pas assez d’attention à la formation des enfants ne leur prépare pas un avenir facile. Il en va de même pour les sociétés lorsqu’elles négligent d’investir dans le système éducatif ou lorsqu’elles le confient à la seule loi du marché. Le marché est efficient pour le court terme, notamment pour préparer les jeunes à trouver leur premier emploi (ce qu’indique le terme, assez laid, d’“employabilité”). Mais les effets d’une éducation se prolongent sur une génération, voire plusieurs, et de cet apprentissage découlent les engagements d’une vie.
En cette fin d’année universitaire, il nous a semblé important de revenir sur ce débat avec un extrait du dernier livre de Martha Nussbaum. Cette philosophe américaine, qui a travaillé jadis avec Amartya Sen sur les questions de développement, nous alerte quant aux dangers d’un enseignement qui ne viserait que la croissance pour la croissance. Adam Smith l’avait déjà montré : la “richesse des nations”,c’est bien plus que la production et l’échange des biens. C’est dans cet état d’esprit que plusieurs universités et écoles évoquent de nouveau le mot “humanités”. Pourquoi ne pas reparler aussi des “arts libéraux”, ces sept disciplines que les Anciens considéraient comme indispensables à la formation d’un élève ?

http://www.courrierinternational.com/magazine/2010/1025-ou-va-l-universite

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