Dans le langage courant, la joie est associée à une émotion, à un état passager. Pourtant, son sens d’origine est tout autre que éphémère, car sa lointaine étymologie sanskrite nous renvoie au terme de yuj (la même que de yoga), généralement traduit par « union de l’âme individuelle avec l’esprit universel ». Il y a ici un sens de reliance entre le terrestre et le céleste, de l’homme avec le divin et des hommes entre eux, une dimension sacrée de la joie qui s’est perdue dans les temps, surtout dans la culture occidentale. Une fois le lien rétabli, la joie investit de façon indirecte (car elle y « contribue ») tous les aspects de la vie et ramène au concept de joie de vivre en tant que sentiment exaltant ressenti par toute la conscience, toutes les dimensions de l’être. D’une simple émotion, elle se transforme en sentiment, état ; elle redevient manifestation de la reliance de l’âme individuelle avec une dimension supérieure. Par ce chemin, elle envahit la totalité de l’être et relie le « haut » et le « bas », l’espace intérieur et extérieur, le sujet et l’objet, l’individu et les autres.
Il ne se passe pas de jour sans que des experts analysent la crise que le monde traverse actuellement sous l’angle de leur science : des clashes économiques à la pollution de l’environnement en passant par la perte des valeurs éthiques, nous sommes surinformés, agressés, souvent acculés au mur du désespoir par les données diverses, les théories et les pronostics, de préférence catastrophiques, que les scientifiques produisent dans le but d’alerter l’espèce humaine et sa planète. La raison nous dirait donc que le temps est venu pour les humains de se réfugier sous terre, d’amasser des réserves alimentaires dans les bunkers ou, au pire, de se préparer à une évacuation massive vers d’autres planètes… Ma proposition ici est de ne pas succomber à la vision pessimiste, de ne pas suivre que la voix de la raison scientifique (pourtant nécessaire), mais par un véritable retournement de sens, de saisir l’opportunité qui nous est offerte par cette crise d’intégrer dans nos vies une valeur qui semble avoir été oubliée par les humains, celle de la joie. Dans ce chemin d’espoir, l’éducation peut jouer un rôle fondamental en se réappropriant le rôle initiatique qui lui revient dans l’évolution de l’être humain.
L’école va mal, et les réformes ministérielles se succédant les unes après les autres dans nos pays occidentaux, semblent imperméables à toute innovation qui aille dans la direction de la prise en compte de la dimension existentielle des individus (élèves et enseignants), négligence qui pourrait être considérée comme l’une des multiples raisons de ce malaise. A cela s’ajoute la fragmentation grandissante du savoir en multiples disciplines : de 50 spécialisations en 1950 nous sommes passés à 8000 en 2000. Dans ces « tours de Babel » que sont nos écoles et universités aujourd’hui, les élèves s’habituent à concentrer toute leur attention sur des disciplines qui étudient la réalité à travers des loupes, en les analysant sous des angles différents. A force de focaliser les mentalités sur des aspects séparés de la réalité, les étudiants apprennent à l’interpréter comme un ensemble de morceaux d’un puzzle non recomposé, « déstructuré ». L’université en particulier se dirige vers un cloisonnement et un morcellement du savoir, qui devient de plus en plus ésotérique et anonyme (Morin, 1990).
A la fragmentation disciplinaire correspond la dangereuse fragmentation de l’être humain, le corps étant séparé de ses émotions, séparées du mental, séparé de l’esprit… La conséquence la plus évidente est la perte de la joie d’apprendre, de transmettre, tout simplement de la joie de vivre. Ma thèse est que l’éducation peut ramener les humains vers cette nature qui est l’essence même de l’être. Éduquer à la joie est possible, des exemples existent et sont reproductibles. Ce blog désire contribuer à cet objectif : éduquer à la joie de vivre !