Au delà de la laïcité, la rencontre

Ces derniers jours les murs de nos écoles sont tapissés d’affiches colorées arborant les 15 articles de la charte de la laïcité à l’école. Déjà promue sous le Ministère de l’éducation nationale précédent, elle réapparait en force à l’occasion des derniers faits de violence et les mesures conséquentes prises par la Mobilisation de l’école pour les valeurs de la république. Les règles et les normes de la laïcité y sont illustrées, et l’article 8 qui concerne l’exercice de liberté d’expression des élèves, est celui qui suscite le plus de discussions. « Pourquoi, demandait l’élève Rached à son enseignante de collège, si vous dites que la France respecte toutes les croyances, pourquoi on accepte les dessins blasphèmes de Charlie Hebdo et on ne respecte pas ma religion ? ».
La question est très bonne, je dirais même que c’est LA question du jour. La réponse est difficile, sa compréhension ardue, non seulement pour Rached qui a 12 ans, mais pour tous ceux qui, comme moi, s’interrogent sur le sens de cette laïcité en général, à l’école en particulier. Quelle est donc cette loi qui affirme que dans une société laïque comme la France, «le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer toutes les religions, quelles qu’elles soient » ? Allez-donc expliquer la nuance à tous les Rached qui peuplent les cités de nos banlieues, tous les Mohammed et les Yasmina qui se voient offensés et provoqués dans leur croyance. Donnez-leur les clés de cette interprétation équilibriste entre le respect et la liberté de critique… Et, puisque nous y sommes, aller leur expliquer aussi la différence entre critique et provocation.
Dans un élan gigantesque de fraternité (autre valeur à apprendre dans l’éducation à la citoyenneté), et d’humanité retrouvée au lendemain des violences, nous avons été tous Charlie. Nous sommes descendus dans les rues manifester, et des familles entières, avec des enfants par la main et en poussette, ont défilé pour la paix « parce que on ne tue pas les gens quand on n’aime pas un dessin, on en fait un autre plus joli » comme le disait Léa, 5 ans. Mais aujourd’hui non, je ne suis pas Charlie, parce que se mobiliser pour les valeurs de la république n’est pas céder à la confusion qui règne entre liberté d’expression consciente et négation du respect de la croyance de l’autre. Aussi, je ne suis pas Charlie parce que je ne peux cautionner ceux qui par simple provocation, s’amusent à déstabiliser et discréditer la grande majorité des français musulmans, y compris à l’école.
Dans ce sens, je souhaite que à l’école soient enseignés, avec les valeurs de la république, aussi l’esprit de discernement, la lucidité, la critique constructive. Et que dans les débats sur la morale et la citoyenneté, on puisse exercer la liberté de remettre en cause le concept de laïcité actuel qui n’a plus grande chose à voir avec ses nobles origines. Mot obscur pour la plupart des élèves, la laïcité fait son entrée à l’école au XIXe siècle, le souci étant à l’époque de s’affranchir des pressions religieuses, l’église catholique en première. Le projet d’une école laïque qui accueille tous les enfants, sans distinctions d’origine, de sexe ou d’option spirituelle de leurs parents, est né de cette volonté, inspiré par un idéal commun, une sorte de neutralité républicaine.
Sauf que l’école a changé, des enfants de cultures inconnues à l’époque des Lumières, remplissent aujourd’hui des classes multicolores, multi-races, multilingues, des descendants de migrants musulmans s’asseyent dans les bancs à coté de leurs camarades chinois nés en France de troisième génération. Leur demander, au nom d’une laïcité qui lisserait toute différence, de nier leur appartenance culturelle et religieuse équivaut à une injustice, une imposition et une autre doctrine, elle devient « une machine à produire de la différence » comme nous disent des éminents sociologues de l’éducation*. Détournée de sa mission d’origine de service à un projet d’intégration des minorités, la laïcité risque ainsi de se transformer en outil d’agression, jusqu’à engendrer pour ces mêmes minorités la peur de l’Autre, alors que l’école est supposée être le lieu du vivre ensemble.
Il faudra alors faire un pas vers l’Autre, il faudra nous rencontrer. Nous rencontrer pour nous connaître et apprendre, oui je dis bien apprendre, d’un Rached et d’une Yasmina aux accents arabes, mais aussi d’un Irwin et d’une Liuba tziganes, que ce qui est différent de moi (par langue, culture, religion,…) ne peut que m’enrichir, me construire. Les rencontrer c’est la seule façon de ne pas les diaboliser car la ségrégation construit des monstres. L’ignorance conduit à l’amalgame, et la confusion s’engendre, comme lorsque on confond un Islam riche de sa culture millénaire avec un terrorisme intégriste produit de l’ignorance et de la misère.  Rencontrer à l’école un rabbin, un imam, un prêtre, inviter des parents musulmans ou bouddhistes ou juifs nous expliquer leur manière de voir le monde, leur culture, les valeurs qui inspirent leurs religions, n’équivaut pas à leur déléguer l’enseignement du fait religieux qui doit rester la prérogative de l’enseignant, mais à les connaître d’abord comme humains, nos semblables.
Cette ouverture est la seule condition pour que le dialogue naisse. Un dialogue qui, avant de devenir national, international, interreligieux, interculturel,… tout ce dont on entend débattre ces jours-ci à niveau politique, doit d’abord être pratiqué au niveau de l’individu. La rencontre devient ainsi éducative et fait grandir pour « élever les consciences des enfants », selon un terme utilisé non pas par un guru mais par un ministre de l’Éducation nationale. Soyons donc plus ambitieux : faisons de l’école, non seulement l’espace privilégié de l’éducation aux valeurs républicaines de la France, mais le lieu d’élévation vers les valeurs universelles communes à toute l’humanité.

Antonella Verdiani
Présidente,
Printemps de l’éducation

* Béatrice Mabilon-Bonfils, Geneviève Zoïa, La laïcité au risque de l’Autre, Ed. de l’Aube, 2014

Retrouvez cet article sur le site du Printemps de l’éducation:

Les voies de la résiliance

…la (belle) photo! 

Le 4 juin 2012 on fêtera la sortie du dernier livre collectif auquel j’ai participé 
(avec le chapitre « Le bien-être des enfants à l’école): 

Les voies de la résilience 

sous la dir. de Carine Dartiguepeyrou, Préface d’Ervin Laszlo, 
Avant-Propos d’Edgar Morin 
aux Editions L’Harmattan – Recherches & Prospective. 

Ce livre regroupe les contributions de Mathieu Baudin, Danièle Darmouni, 
Carine Dartiguepeyrou, Vincent Devictor, Jean-Claude Devèze, Philippe Durance, 
Jean-Baptiste de Foucauld, Thierry Gaudin, Ervin Laszlo, Edgar Morin, 
Michel Saloff-Coste, Charlotte de Silguy, Antonella Verdiani, Patrick Viveret.

Venez donc nombreux tisser les chemins de la Voie!

le 4 juin 2012 de 8h30 à 18h00 

au Forum 104
104 rue de Vaugirard, 75006 Paris 


Quelles sont les tendances à venir dans un monde en mutation ? Quelles sont les solutions d’avenir, les actions à entreprendre ? La résilience met l’accent sur la réaction en cas de choc, la capacité de transcender une difficulté et de se transformer. 
Ce livre met en lumière ces chemins qui demandent créativité et réinvention de notre part, c’est un appel à la conscience planétaire et un hymne à notre interdépendance avec le monde du vivant.
Cette journée cherche à contribuer à ce mouvement qui paraît aujourd’hui inflexible, celui de la métamorphose. 

La résilience met l’accent sur la réaction en cas de choc, la capacité de transcender une difficulté et de se transformer. 



ISBN : 978-2-296-97026-7 • mai 2012 • 204 pages

Prix éditeur : 21 € 19,95 € / 131 FF

Trouver Davantage de Joie

 

 Comment pouvons-nous entretenir la joie et l’expérimenter davantage dans notre vie?

La première chose que nous pouvons vous dire, c’est que vous êtes censés faire davantage l’expérience de la joie dans vos vies. Certains d’entre vous croient qu’ils ont  besoin d’une permission pour ressentir de la joie, ou qu’ils ont besoin de la gagner avant de pouvoir en faire l’expérience. Bien sûr, comme toutes choses dans la vie de l’homme, la joie va aller et venir — mais dans l’ensemble vous êtes censés la ressentir beaucoup plus que ne le font la plupart d’entre vous. Pour ceux d’entre vous qui pensent avoir besoin d’autorisation pour ressentir de la joie, qu’ils considèrent que c’est un impératif divin provenant des dimensions supérieures : vous êtes libres de ressentir plus de joie ! Ne résistez pas à la joie — embrassez-la !

La manière de connaître davantage de joie est de tourner plus pleinement votre attention sur le moment présent. Vous ne pouvez pas connaître la joie lorsque votre attention est dispersée — lorsque votre esprit est en train de penser à autre chose que ce que vous êtes juste en train de vivre. Un moyen rapide et simple (mais pas toujours facile) de trouver la joie est de commencer par expérimenter les sentiments du moment présent. Ce que vous pourriez avoir besoin de faire dans l’immédiat est de reconnaître tout ce qui est désagréable — parce que la vraie joie existe sur l’autre versant de cette difficulté. Vous ne pouvez pas enjamber la chose difficile pour trouver la joie ; vous devez la traverser.
Si vous ressentez de la douleur en ce moment — si vous vous sentez isolé, désespéré, ou tout simplement débordé  — le premier pas vers la joie est de vous installer dans ce que vous ressentez et d’en faire l’expérience jusqu’à ce que ça soit terminé. Une fois que c’est terminé, alors il y aura de la place, et vous pourrez ressentir de la joie.

Ce que beaucoup d’entre vous font, au lieu de cela, c’est d’éviter consciemment ou inconsciemment ce qu’ils ressentent dans le moment présent. Vous vous écartez du sujet. Si vous êtes seuls, il se peut que vous allumiez la télé pour ne pas le remarquer. Si vous êtes accablés, il se peut que vous mangiez quand vous n’avez pas faim. Quel que soit ce que vous êtes susceptibles de faire pour vous distraire, cela garantit seulement que l’émotion va rester avec vous plus longtemps que nécessaire. L’émotion ne disparaît pas quand vous vous en distrayez. L’émotion s’en va uniquement lorsque vous la ressentez complètement. Une clé pour trouver la joie est d’abord de vous autoriser à ressentir complètement ce que vous ressentez dans le moment présent. Lorsque vous aurez fait le tour de cette émotion en la ressentant jusqu’au bout — une fois que vous aurez pleuré jusqu’à ne pas pouvoir pleurer davantage, ou hurlé jusqu’à ne pas pouvoir crier davantage, ou rire nerveusement jusqu’à ne pas pouvoir ricaner davantage — alors vous serez prêts à vous rafraîchir dans l’expérience suivante. Et cette expérience nouvelle sera naturellement la joie, parce que la joie est votre état naturel. Observez un enfant qui est aimé et bien soigné et vous verrez — vous êtes nés pour ressentir de la joie.

La clé pour ressentir quotidiennement davantage de joie est de vous rappeler l’habitude que vous aviez, enfant, d’être attentifs à votre moment présent. Prenez l’habitude de ramener votre attention sur votre moment présent. Cela demande de ressentir toute la gamme d’émotions et de sensations qui existent en vous. La joie de l’homme ne vient pas majoritairement de grands changements énormes dans la vie. Par exemple, elles ne vient pas parce que vous gagnez à la loterie ou parce que votre petit-fils est né. La joie humaine se manifeste plutôt lorsque vous prenez des moments de calme au sein de ces expériences, pour admirer réellement la beauté de ce petit-fils, ou quand vous prenez le temps nécessaire pour sentir réellement la joie du soulagement d’avoir l’argent dont vous aviez besoin. Le même niveau de joie est disponible lorsque vous prenez un moment tranquille pour apprécier la nourriture dans votre assiette, pour savourer son goût délicieux. C’est dans ces moments calmes et simples que se manifeste le plus la joie humaine. L’espace occupé par la joie dans votre vie, c’est le moment présent. Voila la clé. Vous êtes censés vous en souvenir.

Commencez aujourd’hui ; commencez dès maintenant. Cherchez tout de suite quelque chose de délicieux et de merveilleux dans votre vie et prenez le temps de le savourer. Aimez-vous la couleur de votre chemise ? Aimez-vous la sensation de la lumière du soleil sur votre visage ? Sentez-la. Ça sera la première étape sur le chemin qui vous mène à ressentir chaque jour de la joie dans votre vie. (Décembre 2010)

Pilules/pills/pastiglie: la joie

Dans le langage courant, la joie est associée à une émotion, à un état passager. Pourtant, son sens d’origine est tout autre que éphémère, car sa lointaine étymologie sanskrite nous renvoie au terme de yuj (la même que de yoga), généralement traduit par « union de l’âme individuelle avec l’esprit universel ». Il y a ici un sens de reliance entre le terrestre et le céleste, de l’homme avec le divin et des hommes entre eux, une dimension sacrée de la joie qui s’est perdue dans les temps, surtout dans la culture occidentale. Une fois le lien rétabli, la joie investit de façon indirecte (car elle y « contribue ») tous les aspects de la vie et ramène au concept de joie de vivre en tant que sentiment exaltant ressenti par toute la conscience, toutes les dimensions de l’être. D’une simple émotion, elle se transforme en sentiment, état ; elle redevient manifestation de la reliance de l’âme individuelle avec une dimension supérieure. Par ce chemin, elle envahit la totalité de l’être et relie le « haut » et le « bas », l’espace intérieur et extérieur, le sujet et l’objet, l’individu et les autres.