… un dossier Télérama:
RENOUVELER L’EDUCATION
changement majeur est en train de se produire actuellement concernant les
paradigmes fondateurs de notre vie sur Terre, ce que le promoteur de ce livre
collectif appelle des «enjeux anthropologiques nouveaux ». « L’axe du
monde change, la pyramide s’inverse [2]» :
au cœur même de cette mutation, qui n’est pas à l’abri de ruptures violentes, mais
aussi de progrès lumineux autant qu’inattendus, l’éducation a sa place
centrale. Que nous soyons philosophes ou militants, enseignants ou parents,
notre rôle d’éducateurs est d’accompagner cette mouvance et accueillir ce qui,
de toute manière, est déjà là: une humanité naissante plus juste, solidaire,
reliée. Ma contribution à une nouvelle philosophie de l’éducation se place dans
cette prospective.
que j’écris, je l’écris à partir de mon expérience. Telle est ma posture dans
la recherche, dans l’écriture, dans la vie. Passionnée, souvent incommode, elle
est le reflet d’une nécessité constante d’être au plus près de la vérité. Une
vérité qui est la mienne, donc relative, imparfaite, mais sincère. C’est une
exigence qui me rend à la fois marginale face à l’Institution et à la fois
libre, dans une radicalité qui me rappelle parfois celle de l’Art et de la
création, domaines dans lesquels je place la recherche-action existentielle.
vérité, mon chemin, sont pavés d’incertitude et de doutes. C’est l’incertitude
liée à la connaissance, dont nous parle Edgar Morin dans sa théorie de la complexité,
incertitude qui semble être étrangère à la culture et à l’école occidentale. Par
elle, il s’agit de reconnaître « les zones d’ombre » que la réalité a
pour nous, afin de « savoir qu’il y a du possible encore invisible dans le
réel »[3]
et de reconnaître à quel point la connaissance peut être parsemée d’erreurs et
d’illusions. Nous sommes de plus en plus à le dénoncer et nous le savons
bien : le système éducatif dominant laisse peu de place au doute et à
l’inattendu car il est bâti sur un ensemble de certitudes sociales et
économiques, telles que le succès, la performance, le modèle gagnant, la
sécurité du poste de travail, la compétition, le pouvoir… Paradigmes sur
lesquels nous avons bâti notre vision du développement et qui aujourd’hui sont
systématiquement balayés par l’ouragan de la mutation collective en cours, avec
tout ce qu’il peut provoquer de sentiments d’angoisse individuelle et
instabilité sociale. Mais, en nous inspirant de la langue chinoise qui donne au
mot de « crise » le double sens de danger et d’opportunité, nous
savons bien que ce sont ces mêmes incertitudes qui, une fois accueillies, nous
feront grandir en humanité. C’est aussi le doute qui s’empare de tout chercheur
impliqué (le doute social, le doute scientifique et le doute ontologique). Le
seul questionnement possible étant existentiel, c’est à partir de ceci que
« je (me) cherche » en tant qu’être humain d’abord et en tant que
professionnelle de l’éducation en suite.
savons plus vraiment qui nous sommes » nous dit René Barbier[4] « de plus en plus et de mieux en
mieux, nous apprenons à dire « je ne sais pas »(…). Dans un tel
processus, nous devenons « autre » par les autres et le monde ».
donc fait du « je ne sais pas », la devise de départ de mon travail, dans
un processus qui n’est pas sans rappeler l’autorisation
noétique de Joëlle Macrez – Maurel:
extérieur) durant lequel un processus interne et continu de transformation de
Soi démarre lorsque l’individu s’ouvre (suite à un flash existentiel, une prise
de conscience de son ignorance et de sa souffrance, ou à un questionnement sur
le sens de la vie) à un profond désir de changement et se confronte à
l’inconnu, rencontre des archétypes ou symboles numineux qui le touchent,
l’ébranlent et lui dévoilent le réel derrière la réalité, l’esprit derrière la
psyché, le monde ontologique derrière le monde des apparences, le monde de
l’intelligence derrière le monde de la signification.»[5]
donc par ce nouveau regard épistémologique intégrant l’existence d’autres plans
de réalité, projeté au delà et à travers les connaissances, trans disciplinaire, que j’ai commencé
à guetter « l’impossible réel » de et dans la Joie. Absolue, la quête
sur la Joie en éducation exige, tel un acte de foi, un abandon à l’existence et
à son sens caché. Pour moi la question de ma posture dans la recherche a été
des plus simples : comment rechercher, communiquer, éduquer à la Joie sans
être joyeux ? Sans, comme le disent les tibétains, entreprendre le chemin
pour aller contacter de plus près ce « fond lumineux de l’être » [6]
qui nous habite tous ? Chaque explorateur des profondeurs le sait
bien : le processus alchimique de transformation de la matière en or ne se
fait pas sans douleur. En ce qui me concerne, c’est par l’acte de l’écriture
que j’arrive graduellement à éclaircir mes zones d’ombre. Ecrire sur la joie
devient ainsi un acte d’auto formation par excellence, s’éduquer à la Joie.
l’éducation intégrale …
par Joshi Kireet Philosophy and yoga of Sri Aurobindo
[Philosophie et yoga de Sri Aurobindo] dans une conférence donnée à Rajendra
Bhawan, Deen Dayal Upadhayaya Marg, New Delhi, 23 novembre 1998.
Marie Exercices pratiques d’autolouange
Payot, Paris, 2010. Marie Milis, professeur de mathématiques et d’éthique à
Bruxelles, enseigne et pratique l’autolouange avec ses élèves et aussi au sein
de l’association Initiations.
René, art. « À propos de la recherche en éducation » dans Journal des chercheurs, 24 septembre
2006 (http://www.barbier-rd.nom.fr/journal/article.php3?id_article=651)
Aurobindo, Jung, Krishnamurti, Vega Editions, 2004
rappelle la belle expression de Gaston Pineau : « Lointaine est
encore l’époque où la science pourra rendre compte des consciences les plus
conscientisées pour lesquelles la nuit est le fond lumineux de l’être éclairant
le jour » in G. Pineau Produire sa
vie : autoformation et autobiographie,
Montréal, Albert St-Martin/ Paris, 1983
L’école, telle qu’elle est aujourd’hui, elle n’est pas nécessaire….
Montessori, des beaux quartiers aux enfants pauvres de Noisy
dans la main, Sylvain Lestien, Morgane
Jacinto-Gavira, Agathe Henri et Yveline
Picart font du porte-à-porte parmi les bâtiments roses
de la cité du Château de France, rebaptisée par ses
habitants le « 116 », à Noisy-le-Grand [1] (Seine-Saint-Denis). Chacun
vient chercher quatre enfants,
âgés de trois à six ans, pour les emmener au « pré-pivot
» d’ATD (Agir tous pour la dignité) Quart Monde [2]. Sylvain Lestien, animateur
dans cette association, explique: « C’est comme au basket :
le pivot reçoit et relance. Le pré-pivot
prépare au pivot où on veut donner le goût de
l’art, de la peinture, de la lecture aux enfants.
» Objectif du « pré-pivot » :
proposer des activités culturelles selon la
pédagogie Montessori [3] pendant une demi-journée, deux fois
par semaine, afin d’aider l’enfant à s’adapter à
l’école. L’échec scolaire se cristallisant souvent dès
le CP, il est important que l’enfant prenne confiance
en lui en vivant des expériences positives et en réussissant
avant ses six ans.
enfants
conçue par le médecin italien éponyme [4], repose sur les
sensibilités et les
l’enfant qu’il faut laisser s’épanouir. L’apprentissage se fait à
son rythme et en fonction de ses
particularités, de façon à ne pas le décourager ou l’ennuyer. Il faut
conserver son enthousiasme et qu’il devienne autonome.
Cette méthode s’appuie sur son besoin de
grandir et d’apprendre. Au « pré-pivot », quatre
adultes sont présents pour onze enfants. « Il s’agit
de s’adapter au rythme de chacun afin qu’il travaille
en fonction des ses envies. Il n’y a pas de programme
prédéfini », précise Sylvain Lestien. Ces enfants sont
souvent stigmatisés à l’école parce qu’ils
parlent moins bien ou parce qu’ils sont moins habiles
de leurs mains. L’animateur ajoute : « Nous n’avons pas un
objectif d’apprentissage mais plutôt un objectif de construction de la personne. L’enfant
doit avoir l’estime de lui-même et bâtir sa
relation aux autres. Le but n’est pas d’obtenir
un diplôme mais de devenir un homme
construit, un citoyen engagé capable de prendre
des décisions. A aucun moment il ne doit se
sentir jugé, si ce n’est positivement. »
l’Association Montessori France [5] ont commencé à travailler
avec ATD Quart Monde. Patricia Spinelli,
secrétaire de l’Association Montessori France et
directrice de l’Institut supérieur Maria Montessori [6], retrace : « L’idée est née en 2005,
au moment des émeutes dans les banlieues.
L’Association Montessori France a décidé
de sortir cette méthode des beaux quartiers
pour aider les jeunes. Elle a alors
contacté plusieurs associations, dont ATD Quart Monde. »
l’association expérimente donc cette méthode, qui
vient en renfort de l’école,
d’enfants les mercredis et les samedis. Ils viennent tous
d’une famille défavorisée
qui a été relogée dans la cité du « 116 ». Au total, ce sont une
cinquantaine de familles qui ont perdu un logement dans
le passé ou qui n’en ont jamais eu. Des foyers
blessés qui doivent se reconstruire. Dans cette cité, 120
enfants ont moins de quatorze ans. Sylvain
Lestien détaille : « La misère se transmet
souvent de génération en génération. L’école
pourrait casser cette chaine mais beaucoup
d’enfants des familles très pauvres y
sont en échec. C’est dur de travailler à l’école
quand on s’y sent mal parce qu’on a honte de
l’endroit où on habite ou honte de ses
vêtements. C’est également difficile
quand les parents ne s’y investissent pas du
tout parce que, étant jeunes, ils y ont
trop souffert ou parce qu’ils ne peuvent pas aider
leurs enfants à faire leurs devoirs. » L’objectif est de soutenir
la famille et de travailler avec elle pour le bien-être
de l’enfant. Avec une méthode utilisée majoritairement en
école privée hors contrat en France, faute de
financements par l’Etat. Cette pédagogie correspond
aux préceptes d’ATD Quart Monde qui mène des
actions culturelles en faveur des plus démunis. Pour le père Joseph Wresinski [7], fondateur de
l’association en1957, la culture était la clé pour que ces familles sortent de la misère.
de pommes
les enfants choisissent eux mêmes ce qu’ils vont faire
pendant deux heures. Du côté du coin « jeux », les
enfants ont l’embarras du choix : livres, ardoises,
jeux en bois, lettres, cubes de différentes tailles…
le but est de les préparer à l’apprentissage de
l’écriture et des mathématiques. A côté, une salle ronde
baptisée « salle de vie pratique», propose des plateaux de
vaisselle, un arrosoir… Les enfants peuvent faire
de la mousse, transvaser de l’eau d’un
récipient à un autre. Comme des grands. Nawel, 4 ans,
nettoie des chaussures à l’aide d’une brosse et de
la cire pendant que Jahnyce, 6 ans, coud. Dans la
cuisine, Obed épluche des pommes. Sylvain Lestien souligne : « A cet âge, ils ont envie d’imiter
leurs parents. Il faut qu’ils puissent le faire pour de vrai parce qu’on
apprend en faisant. Le but, c’est qu’ils soient autonomes, qu’ils prennent confiance en eux et qu’ils sentent que
les autres leur font confiance. » Une des particularités de
cette méthode est le mélange des âges. Les plus jeunes
apprennent en regardant les grands et les plus âgés
apprennent en expliquant aux plus petits.
L’enrichissement est mutuel.
s’exprimer un peu »
projet pilote », selon Sylvain Lestien.
Les accompagnateurs et les bénévoles n’ont pas
suffisamment de recul pour s’assurer de
l’efficacité de cette méthode. « Ce qu’on permet aux enfants de
vivre dans leur petite enfance, on espère que ça
portera ses fruits dans leur vie d’adulte »,
insiste l’animateur.
visibles. Morgane Jacinto-Gavira, devenue bénévole à la suite
d’un stage effectué à ATD Quart Monde, sourit : « Je vois des évolutions
chez des enfants qui s’expriment de mieux en
mieux. Il y a un petit garçon de cinq ans
qui ne prenait jamais de crayons car il n’arrivait pas à les utiliser. Maintenant, il
dessine tout seul. Il est fier de nous montrer
ses requins et ses dinosaures. » Sandrine Pereira est
responsable de la petite enfance au centre d’hébergement et
de réinsertion sociale d’ATD Quart Monde de
Noisy-le-Grand : « Nesta [le prénom a été
changé, ndlr], 5 ans, est un bon exemple. Avant,
il courait dans tous les sens. Il était
incapable de se poser. Au bout de trois semaines,
il a réussi à rester immobile pendant quinze
minutes devant des lettres rugueuses. »
3 ans. Le petit garçon va au « pré-pivot » depuis
septembre. Elle aussi a
faits par son fils : « Reda ne parlait pas car
il avait fait un blocage suite à la naissance de sa
petite sœur. Maintenant, il commence à
s’exprimer un peu. »
progrès relève de la méthode Montessori en tant que
telle, ou de l’attention apportée à ces petits. « Il
ne faut pas oublier que les enfants évoluent aussi à
l’aide de l’école et de leurs parents », rappelle Evelyne
Picart, bénévole à ATD Quart Monde depuis vingt
ans.
de Noisy-le-Grand: Accueil | http:// bit.ly/JeLLQH
pédagogie Montessori, c’est quoi ? |Psychologies.com | http://bit.ly/JeLLQJ
Montessori | Psychologies.com | http://bit.ly/JeLNYM
| L’Association Montessori de France et L’Institut
Supérieur Maria Montessori | http://bit.ly/JeLLQM
| L’Association Montessori de France et L’Institut
Supérieur Maria Montessori | http://bit.ly/JeLNYQ
Joseph Wresinski (1917-1988) – Mouvement ATD (Agir Tous
pour la Dignité) Quart Monde France | http://bit.ly/JeLLQN
Quels enfants laisserons-nous à la planète?
Un temps, trois mouvements…
Le terme mouvement évoque immédiatement le corps : les articulations qui bougent, la gymnastique, le jeux, la danse, les arts martiaux et à l’école, l’éducation physique. Par rapport au corps, le mouvement (du latin movere), indique toute « action par laquelle un corps ou quelqu’une de ses parties passe d’un lieu à un autre, d’une place à une autre » et « il est successivement présent en différentes parties de l’espace. » Mais le mouvement n’est pas seulement physique ou corporel ou musical, il peut également concerner la sphère métaphysique quand il est abstraitement considéré, indépendant des causes qui le produisent et sur lequel les savants « disputèrent beaucoup pour savoir s’il est essentiel à la matière » nous dit toujours le dictionnaire. D’autres champs de la connaissance explorent ce concept, de la physiologie à la musique à la politique : ce que nous intéresse ici est la place du mouvement en pédagogie et plus en général, dans l’acte éducatif entendu comme animation, geste, déplacement et présence.
Une précision est tout d’abord nécessaire : même en éducation, le mouvement est à entendre comme une action qui sort de la sphère purement physique, mais investit aussi celle du mental et de l’esprit. On bouge des nos membres mais on fait « bouger les neurones », dit-on. Aussi, pour un chercheur spirituel, on « évolue » et on progresse avec notre esprit vers des champs de conscience de plus en plus élargis.
En général, la pédagogie et l’école considèrent surtout les deux premiers domaines, le mouvement du mental et de l’intellect, en laissant le troisième, le mouvement de cheminement de l’esprit, plus l’apanage des religions et des écoles spirituelles. Des exceptions existent que l’on peut trouver dans des pédagogies à l’approche intégrale. Dans les pédagogies de l’Ecole nouvelle par exemple, sous laquelle on pourrait inclure des pédagogues bien connus en France comme Freinet, Decroly ou Montessori, ou des moins bien connus, comme Paul Robin ou Dewey, toutes les dimensions de l’élève sont prises en considération dans une vision globale de l’être humain. D’autres écoles encore, comme celles de Rudolf Steiner, de Krishnamurti ou de Sri Aurobindo et Mère mieux connues en dehors de la France, ont donné une place importante à la spiritualité (ou au questionnement sur la spiritualité) dans leur pédagogie.
Cet article s’efforcera d’analyser les trois mouvements ci-dessus énumérés, tête/cœur, cœur /corps, corps /esprit à la lumière d’un seul temps, celui de l’acte éducatif.
Cet article, qui sera publié en parties séparées, a été écrit à l’occasion de l’atelier sur le mouvement en pédagogie qui s’est tenu à l’Université d’été de la CCIP, à l’initiative du CIRPP, le Centre d’Innovation et de Recherche en Pédagogie de la Chambre de Commerce de Paris, le 29 et 30 juin 2009 (www.universite-enseignants.ccip.fr)